Le passé by Tessa Hadley

Auteur:Tessa Hadley [Hadley Tessa]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature anglaise
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Le noir était total dans la chambre que les enfants partageaient, pourtant tous les sens d’Hettie – qui était allongée dans son lit, les yeux grands ouverts sur le vide – étaient anxieusement attentifs à tout ce qui différenciait cet endroit de sa maison. Jusqu’à l’obscurité qui était différente : à Marylebone, un réverbère diffusait sa lueur orange dans leur chambre de sorte qu’elle pouvait toujours distinguer la bosse de Roly dans son lit – il dormait les fesses en l’air, le nez dans son oreiller – et les barreaux du lit de bébé projetant une faible ombre sur le mur. Là-bas, les phares des voitures qui passaient dans la rue traversaient le plafond en une courbe lente, délicieusement, mystérieusement déterminée ; la nuit était toujours emplie des voix de la rue londonienne en contrebas.

L’obscurité à Kington était aussi dense qu’une main posée sur les yeux, et les draps frais de sa grand-mère dégageaient un troublant parfum de lavande. À la maison, Jill trouvait à peine le temps de laver les draps, encore moins de les repasser, et Hettie s’était habituée, chaque soir, à se creuser un terrier dans le linge froissé imprégné de son odeur, celle de sa salive et des miettes de biscuit et des cheveux en sueur. Un animal aboya dans les bois : un renard, un loup ? Il y avait tant de silence vide à la campagne que le moindre son prenait une importance qu’Hettie ne parvenait pas à comprendre ; son père ne comprenait pas non plus. Jill connaissait le nom de toutes les fleurs et savait reconnaître les oiseaux à leur chant ; quand Tom déclarait qu’il s’en fichait, Hettie, provisoirement soulagée, cachait les livres d’activités I-Spy sur la campagne, à peine cochés, traces de sa honte. Elle préférait les animaux sauvages du zoo de Londres, en sécurité derrière les barreaux et facilement identifiables grâce aux pancartes qu’elle commençait à pouvoir lire sur leur cage.

Un moment, elle resta allongée, en proie au tourment et s’apitoyant sur son sort, avec une envie d’aller faire pipi, son corps la décevant autant que dans le bus, lorsqu’elle avait compris qu’elle allait être malade. Finalement, balançant ses jambes hors des couvertures, elle se laissa glisser du lit jusqu’à ce que ses pieds touchent les planches nues du parquet, tâtonnant du bout des orteils à la recherche du tapis ; dans un accès de terreur, il lui vint à l’esprit que, dans cette obscurité, la réalité pouvait se faire et se défaire de manière vertigineuse, des précipices qu’elle n’avait pas vus en allant se coucher pouvaient s’ouvrir maintenant devant elle. Elle avança avec prudence en suivant le mur – quand Hettie se cogna contre le petit lit d’Ali, le bébé remua et émit des bruits de claquements de lèvres. Au moins, une fois sortie de la chambre, Hettie put discerner quelque chose – dans la faible lumière s’échappant de l’endroit, quel qu’il soit, où les grands discutaient au rez-de-chaussée –, les formes de tant de portes, ouvertes et

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